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En s'informant sur l'économie organique, d'aucun pourrait se dire : "plutôt que de développer une énième monnaie, ne pourrions-nous pas nous contenter d'un outil existant, fonctionnel et éprouver qu'il suffirait alors de déployer à grande échelle ?"

C'est finaud !

Il existe effectivement de nombreuses possibilités pour limiter les échanges en Euros, que ce soit les monnaies locales complémentaires, les monnaies dématérialisées et autres. Dans cet article, je vais comparer l'approche organique à celles de ces différentes solutions.

Mais avant tout, je tiens à préciser que ce que je dis dans ces articles n'engage que moi et que, même si je détaille particulièrement les défauts de ces projets, ils en restent de belles initiatives qui ont nécessité un engagement de la part de beaucoup. Je salue d'ailleurs l'énorme travail qui a été fait par toutes ces personnes qui font avancer le monde pour tenter de nous libérer de l'oppression financière, entre autres, dans laquelle nous nous trouvons.

Les monnaies locales complémentaires

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le concept, une monnaie locale est utilisée sur un territoire restreint. Elle est généralement mise en place par une association. Pour se procurer telle monnaie, il est nécessaire d'adhérer à l'association porteuse du projet de la monnaie locale, logique. Auprès de cette association, on peut se procurer la liste des commerces qui acceptent les paiements avec cette devise.

Voilà pour la définition globale. Après, d'une monnaie à l'autre, il y a quelques variantes :

  • Certaines sont adossées à l'Euro (1 abeille = 1 €, par exemple), d'autres sont indépendantes.
  • Certaines sont fondantes (la valeur d'un billet baisse avec le temps), la plupart pas.
  • Parmi les monnaies indépendantes de l'Euro, il y a celles qui ont une unité de référence (souvent le temps), et encore d'autres dont la valeur est arbitrairement fixée.
  • Enfin certaines sont dédiées uniquement aux échanges entre entreprises, et d'autres sont pour tous publics.

Dans tous les cas, ces projets ont une ambition solidaire et éthique. Beaucoup de ces monnaies locales complémentaires sont mises en place pour rétablir une économie dans une zone laissée pour compte par la monnaie nationale, mais certaines sont aussi la conséquence d'une volonté de libération du système économique national.

Première limite structurelle

Avant de parler des limites, nous pouvons déjà préciser que : ça fonctionne. Il y a environ 80 monnaies locales complémentaires actuellement en circulation, pour plus de 40.000 particuliers et 10.000 professionnels et associations (source : sol-monnaies-locales.org).

Peut-être pourrions nous même nous satisfaire de celles-ci. Étant donné qu'elles ont toutes une visée éthique, il serait sensé de vouloir les généraliser.

Mais premièrement, par définition, ce n'est pas possible. Ces monnaies veulent maintenir l'économie dans une localité définie et ne peuvent donc s'étendre. Sinon l'une d'elle risquerait d'écraser les autres et devenir la monnaie nationale, donc rien n'aurait changé.

En revanche, peut-être qu'une grande quantité de communautés régies chacune par une monnaie locale dédiée pourrait faire l'affaire. Mais alors comment échanger entre communautés ? Au choix : soit nous avons recours à une monnaie nationale ; soit il nous faut une structure de contrôle qui calcule ou définit les taux de change entre les différentes monnaies. Cette seconde option est celle qui a lieu entre les pays à monnaies différentes, et on voit que ce n'est pas une sinécure...

La première problématique des monnaies locales complémentaires est donc qu'elles ne sont que complémentaires. Cela implique qu'elles reposent quoi qu'il arrive sur le système dont elles tentent vainement d'extraire leurs adhérents.

Les monnaie adossée à la monnaie nationale

Cela est particulièrement vrai pour les monnaies adossées à l'Euro. Inventons par exemple le "Lembas" et décidons que : 1 Lembas = 1€. Donc nous montons une association où l'on peut y échanger 100€ contre 100 Lembas. Cela permet maintenant de soutenir l'économie locale en payant en Lembas les commerçants qui l’acceptent, super !

Mais, une minute ! Trois problèmes viennent d'émerger :

  • Ces 100€ sont sur un compte ? Donc ils vont servir à investir ou quoi que ce soit ? Alors nous venons de multiplier la monnaie, n'est-ce pas ? Il y a maintenant 100€ qui fructifient dans l'économie globale et 100 Lembas qui se promènent dans notre localité.
  • Les commerçants que nous payons en Lembas vont pouvoir à leur tour les échanger contre des euros (c'est ce qui fait que les monnaies adossées à l'euro ont plus de succès, elles rassurent les commerçants). Le principe de localité est-il alors réel ?
  • Enfin, en dépendant de l'euro, soit ses variations de valeur impactent également notre monnaie et dans ce cas une crise sur l'euro devient une crise pour le Lembas ; soit le Lembas est constant alors que l'Euro ne l'est pas, ce qui devient une porte ouverte à la spéculation : en échangeant nos Euros contre des Lembas au bon moment, et inversement, nous pouvons faire du profit !

Une solution : la monnaie fondante

La solution est très simple, me direz-vous, il faut et il suffit de faire une monnaie fondante. Si notre monnaie perd de la valeur avec le temps, la spéculation devient plus difficile, voir impossible et problème résolu ! Pourquoi pas, mais cela ne résout qu'une partie du problème.

Une monnaie fondante a pour but de punir les avares, ceux qui accumulent. Comme elle perd de la valeur avec le temps, il n'y a aucun intérêt (dans tous les sens du terme) à la stocker sur un compte. Cela favorise les échanges et la circulation de la monnaie, c'est top.

Pourtant, quelque chose me chiffonne. Premièrement, la vitesse de fonte, ou d'oxydation selon certains est assez lente. Par exemple, le Chiemgauer perd 2% de sa valeur tous les trimestres. Ce qui fait environ 8% en un an et 15% en deux ans.

C'est plutôt lent, non ?

Sur ces espaces de temps, on a largement le temps de compenser ces pertes quand on a un bon gros matelas. Par contre, pour un prolétaire comme moi, ça ne permet pas de placer de petite somme. Ça veut dire, vivre encore plus au jour le jour, sans sécurité.

Je sais, c'est un peu paradoxal par rapport à ce que je critique au capitalisme. Mais c'est parce que la monnaie fondante est bigrement incomplète. Rien n'empêche d'être richissime, tant qu'on tient le rythme. Ce qui fait d'un des plus gros défauts du capitalisme le plus gros défaut d'une économie fondante.

Sauf qu'en capitalisme, le petit prolétaire peut placer un peu de sous ou en mettre de côté, pour les moments de vache maigre. C'est pas ouf, mais c'est déjà ça. En revanche, en économie fondante, c'est mort. Sa petite somme de sécurité, il faudra la remplir comme un vase ébréché tous les trois mois. Donc, au final, j'ai quand même bien l'impression que ça n'est pas applicable et, surtout, pas juste du tout !

Et deuxièmement, la monnaie fondante n'est pas linéaire, dans le sens où il faut bien que la fonte ait lieu à un moment précis, dans notre exemple, tous les trois mois. J'avoue que ce détail est très gênant : selon le timing, il y a moyen de se débrouiller pour dépenser les billets qui valent bientôt moins en fin de période et récupérer de beaux billets bien gonflés en début de la suivante. Je peux me tromper, mais connaissant la relation humaine avec l'argent, je suis assez confiant.

Enfin, je ne vous ai pas dit le pire, mais le Chiemgauer est adossé à l'euro, lui aussi. Donc c'est la merde...

La monnaie indépendante

Dans ce cas, il ne nous reste plus qu'à nous tourner vers une monnaie indépendante de la monnaie nationale. Il n'est alors plus possible de passer de l'une à l'autre, il y a une sorte d'égalité devant l'accession à cette monnaie (pas besoin d'avoir des Euros) et on ne fait pas double usage de la monnaie. Cela semble parfait. Et ça l'est. Il faut, pour être vraiment libératrice, que la monnaie soit indépendante de la monnaie nationale.

Malheureusement, il y a encore ici des problématiques non résolues.

Premièrement, il est difficile d'y faire adhérer, la confiance en une monnaie dépendant surtout de la taille de sa communauté. Donc tant que celle-ci est trop petite, la réaction est souvent "Je vous rejoins dès que vous êtes plus nombreux", ce qui ralentit grandement le processus d'adoption. Mais ça n'empêche pas les plus téméraires d'y arriver et de réussir, à force de patience et de bienveillance, à créer une belle et solide communauté.

C'est le cas par exemple du JEU (pour Jardin d'Échange Universel). Et franchement, c'est chouette ! La communauté est plutôt grande et résiliente. Les usagers créent leur monnaie et les échanges se font sans intermédiaire à l'aide d'un carnet de points JEU. Tout le monde commence à zéro, mais peut payer même en étant dans le négatif ; l'objectif étant tout de même que chaque utilisateur fasse en sorte d'être le plus souvent possible à zéro ou dans le positif.

Notez bien que, comme tout le monde commence à zéro, le total de la monnaie est à zéro. Ce qui signifie que, quand vous êtes dans le positif, il est obligatoire que d'autres soient dans le négatif. Mais ce n'est pas un souci étant donné que l'on peut toujours payer, même si notre soldes est sous zéro.

En théorie, c'est pas mal. En pratique, ça fonctionne, mais les limites sont, une fois encore, décisives. Les voici.

La conscience

Il faut une communauté consciente, dont chaque membre soit pourvu d'un minimum d'intégrité. Mais laissons cet argument de côté en partant du postulat que personne ne pense même à tricher. Je sais que ce n'est pas vrai et qu'il y aura certainement toujours des filous et des fripouilles, mais ce que je veux montrer ici, c'est que même outre ce souci là, nous avons de plus grands défis à relever.

L'accumulation

Il est possible, certes, de payer même en étant dans le négatif. Mais en pratique, il est un peu délicat d'avoir un solde très loin dans le négatif. Les participants peuvent refuser une transaction lorsqu'ils voient que leur interlocuteur n'est pas très regardant, et l'encourager à moins consommer et faire plus pour la communauté afin de remonter son solde.

À l'opposé, rien n'empêche d'engranger autant de points que l'on souhaite. Aussi longtemps qu'on le désire. Ça ne prend pas de place : c'est un montant inscrit sur un carnet. Ça ne périclite pas : mes points JEU sont imputrescibles.

Alors, comme nous le constatons dans nos sociétés actuelles, ceux qui répondent aux besoins les plus importants, ou alors qui le font le mieux, ou pire le vendent le mieux, ont la possibilité d'accumuler une grande quantité de monnaie. Cela voudrait dire que, vases communicants obligent, beaucoup d'autres utilisateurs et utilisatrices seront dans le négatif voire sévèrement dans le négatif. Et ça, bon... C'est moyen sachant que l'objectif reste d'avoir un solde proche de zéro.

La capacité

En général, dans ce type d'alternatives, on part du principe que tout le monde peut toujours et en tout temps donner à la communauté. Or, c'est un peu plus complexe que ça. Les situations sont variées et souvent changeantes Pour les saisonniers, on peut imaginer des fluctuations de leur compte acceptables : ils descendent dans le moins pendant un long moment et, la belle saison venue, paf ! ils reviennent à zéro voire dans le positif. Puis ça recommence.

Mais si ce que je sais faire, ce que j'aime faire n'est utile à personne ? Alors, il faudra bien que je trouve quelque chose d'autre pour pouvoir renflouer mon compte. Bien sûr, cela n'est pas valable dans une situation mixte : je fais ce que j'aime et qui est utile aux autres pour gagner des points JEU, pour le reste j'utilise des euros (que j'obtiens par mon emploi). Mais si j'en viens à ne vivre que du JEU, quelle différence cela fait-il, finalement, avec l'euro ? Aucune : je dois gagner ma croûte, d'une manière ou d'une autre, même si pour ça je dois bosser chez Monsanto ou Total.

La situation la plus complexe est finalement le handicap fort : physique, mental ou de vieillesse. Quand je ne suis pas/plus en capacité, que me reste-t-il pour être économiquement intégré ? J'avoue avoir des doutes sur ce genre de modèle quant à une gestion, notamment, des personnes (très) âgées. Vous me direz sûrement qu'il suffit de mettre en place un système de retraite, et je vous en remercie car ça fait une très bonne transition pour la suite.

Le "pas grand chose" qui manque

D'un retour que j'ai eu d'une utilisatrice assidue du JEU, ce qui lui manque, finalement, ce serait simplement de pouvoir payer ses impôts et ses assurances en points JEU. Avec ça, on pourrait alors mettre en place ce fameux système de retraite, payer les services publics, les politiques et tout le tintouin.

Imaginons un peu ce grand basculement politique qui aurait permis de réussir à tout passer en JEU. À ce moment-là, pourrions-nous nous dire "Alléluia, nous avons réussi !" ?

Et bien, nous aurions gagné les éléments suivants :

  • Il n'y a plus de banques, plus d'usure, plus de taux d'intérêts.
  • Il est possible de subvenir à ses besoins sans être dans le positif. Bien que ceci soit limité, donc argument à nuancer voir à oublier.
  • Il n'y a plus d'inflation : le total d'argent en circulation est de zéro, tout le temps.

Tout cela vous fait rêver, n'est-ce pas ? Et bien, pourtant, je suis plutôt d'avis que nous serions loins du compte, car il resterait encore :

  • Que l'on pourrait accumuler autant d'argent que l'on voudrait et, à fortiori, avoir beaucoup de pouvoir par rapport à d'autres.
  • Qu'il faudrait toujours se vendre sur un marché du travail qui serait rigoureusement le même que l'actuel. Ça ! C'est ce qui détruit le monde !
  • Qu'il serait tout autant possible de spéculer sur des marchés de toutes sortes.
  • Des politiques qui décident de tout et utilisent les impôts comme bon leur semble, notamment pour de l'atomique, de l'électrique, de la guerre, du numérique et j'en passe.
  • Des centralités qui définiraient et contrôleraient : le montant de nos impôts, de notre retraite (si nous en avons une), des remboursements de la sécurité sociale, etc...
  • Que l'on peut être propriétaire terrien et, donc, posséder le sol et le monde. Ce qui est une incommensurable source d'inégalité et d'injustice.

Ce qui veut dire que, malgré un coût énorme qu'il aurait fallu pour basculer dans cette nouvelle monnaie, il nous resterait encore un sacré travail pour arriver à une société juste et paisible.

Conclusion

Comme vous avez pu le lire, si vous avez lu jusqu'ici parce que cet article s'étire tant il y a à dire, il y a beaucoup de bonnes choses développées et utilisées dans le monde, même sur le plan économique. Néanmoins, nous sommes encore loin d'avoir trouvé le système idéal.

Enfin, je dis ça, je dis rien, mais vous êtes sur le site "economie-organique.fr", donc vous imaginez bien que j'ai peut être une piste d'amélioration. Pour que notre société soit juste et paisible (entre autre), le système économique doit obligatoires :

  • supprimer le marché du travail : le salaire, le revenu et l'emploi doivent être trois notions complètement indépendantes ;
  • utiliser une monnaie indépendante des monnaies existantes ;
  • reposer sur une monnaie non capitaliste, à savoir qu'on ne puisse pas la stocker ni en temps ni en quantité ;
  • intégrer une gestion des retraites et des invalides, mais sans contrôle ni arbitre ;
  • favoriser l'humain plutôt que la rentabilité, mais sans contrôle ni arbitre ;
  • empêcher naturellement la possibilité de profit ;
  • empêcher naturellement la possibilité de spéculer ;
  • empêcher naturellement les trop grands écarts de richesse ;
  • supprimer l'impôt et son usage décidé par autrui ;
  • favoriser l'implication et l'organisation des citoyens.

C'est déjà pas mal, j'en ai sûrement oublié d'ailleurs. En prenant tout cela en compte, je pense que nous serons en bonne voie vers une bien belle société. Mais bien sûr, je ne peux pas vous l'assurer, sinon ce serait trop facile. En tout cas, c'est déjà pas mal d'y réfléchir.

Allez, bisous !

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